Le sénateur communiste, ministre de la Santé puis de l’Emploi sous Mitterrand, ne mâche pas ses mot quand on l’interroge sur les relations que le pouvoir actuel entretient avec les médias, les milieux culturels, mais aussi avec la liberté d’expression, le droit de rire. Pour lui, les licenciements de Porte et Guillon, l’éviction de Chabot ou le délire anti-Médiapart de cet été sont avant tout les signes d’un pouvoir en guerre contre tout ce qui n’est pas chiffrable.
La Mèche – Au début de l’été, on vous a vu à la manifestation de soutien à Didier Porte et Stéphane Guillon organisée suite à leur renvoi de France Inter. Qu’est-ce qui vous a poussé à réagir ?
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Jack Ralite - Ce qui m’a déplu en premier lieu, c’est le fait que cette décision de licencier Porte et Guillon émanait d’un homme, Jean-Luc Hees, qui avait lui-même été victime du même genre de pratique quelques années auparavant. Hees est un très bon journaliste, lors de son éviction je l’avais appelé pour manifester ma solidarité. Et voilà qu’aujourd’hui il se comporte comme ceux qui l’avaient viré à l’époque ! Je suis donc allé à cette manifestation, où j’ai d’ailleurs regretté qu’il n’y ait que deux parlementaires présents, Mélenchon et moi. On m’a demandé de prendre la parole. J’ai tout simplement expliqué que ces licenciements étaient des faits graves, que l’on touchait à la liberté d’expression et à la liberté de rire. Il ne faut surtout pas lâcher sur le rire. S’il ne devait nous rester que cela, au moins qu’on ait le droit de rire.
La Mèche – Ce que vous avez dit aussi, c’est que l’origine du problème venait du nouveau mode de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public…
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Jack Ralite - Bien sûr ! Qu’il le veuille ou non, Jean-Luc Hees a été nommé par Sarkozy. C’est le mode de nomination qui matrice la pratique. Brecht dirait qu’« un sombre temps tord les traits et rend la voix rauque ». D’ailleurs ça a continué avec la nomination de Pfimlin à la tête de France Télévision. On me dit : « Pfimlin n’est pas à l’UMP », comme si c’était une preuve suffisante de son indépendance. Mais la question n’est pas là ! Pfimlin était à la tête de France 3 au moment où cette chaîne a connu la plus longue grève de son histoire – cinq semaines ! – parce qu’il a commencé par refuser de négocier. Cet été, quand il a été reçu par le CSA, il s’est empressé de déclarer qu’il ne fallait pas se précipiter sur les informations trouvées sur internet. Comme par hasard, c’était juste au moment où Médiapart multipliait les révélations sur l’affaire Woerth-Bettencourt… Et puis le premier acte public de Pfimlin, à peine nommé, c’est d’écarter Arlette Chabot. Qu’on l’aime ou pas, qu’elle soit de gauche, de droite ou du centre, ça donne quand même une indication sur la façon dont Pfimlin entend exercer ses responsabilités.
La Mèche – Mais la nomination des dirigeants du service public a toujours été politique, non ?
Jack Ralite - C’est vrai. Les partisans du nouveau système nous disent que la nomination par le CSA était une procédure hypocrite, et, bien sûr, elle l’était. Mais malgré tout, quand une décision est prise par une instance distincte du pouvoir exécutif, cette instance a par nature tendance à vouloir exister, des débats ont lieu en son sein, et au final sa décision n’est pas une décalque exacte de la volonté du pouvoir. Maintenant, on fait semblant de saisir les parlementaires, alors que la majorité requise pour dire non est des trois cinquièmes. Mais enfin, c’est se moquer du monde ! C’est impossible !… Là, l’hypocrisie demeure et l’autoritarisme s’installe.
La Mèche – L’indépendance de la presse écrite soulève aussi des interrogations. La plupart des quotidiens appartiennent à de grands groupes industriels, le journal économique et boursier de référence est détenu par un groupe du CAC40… Pour vous, la cote d’alerte est dépassée?
Jack Ralite - Bien sûr. Avant Sarkozy, le CAC40 avait une influence sur les décisions du gouvernement mais il était à côté. Depuis 2007, le CAC40 est au gouvernement. Regardez Woerth, il est bigame cet homme ! Une fois il parle au nom d’intérêts publics, une fois au nom d’intérêts privés, il est torsadé…
Aujourd’hui, la liberté des médias est avant tout économique. On n’oppose plus la liberté de la presse à des contraintes objectives qui pèseraient sur elle, mais à un contexte économique que le pouvoir présente comme « naturel ». C’est ça le noyau dur de la politique de Sarkozy : on « naturalise », et donc on « fatalise » quelque chose qui n’est jamais qu’une création humaine : les règles – ou l’absence de règles – de l’économie de marché. La castration mentale dont parle Bernard Noël c’est ça… On a naturalisé le marché. La castration mentale, elle est là : les gens disent « Ben oui mais c’est comme ça »… Il y a une fatalité, une impuissance démissionnaire. Ça m’évoque une phrase que je viens de relire dans Richard II : « J’ai déréglé le temps, et maintenant le temps me dérègle. »
La Mèche – Vous évoquiez tout à l’heure les révélations de Médiapart. Internet peut-il représenter un espoir, un espace d’indépendance en matière d’information ?
Jack Ralite – Je crois, oui. Ce qu’a fait Médiapart cet été, c’est très intéressant, typique de la méthode Plenel. Et du fait que cela s’est passé sur Internet, ces informations ont touché des publics que les médias classiques n’auraient peut-être pas touchés, ou pas de la même manière. Mais il faut aussi faire attention, tout n’est pas positif avec Internet. Un jour, au Sénat, j’ai fait rire tous les collègues en chantonnant « L’internet-nationale ne sera jamais le genre humain ».
La Mèche – Ah, votre côté révolutionnaire ressort. A ce propos, c’est vrai que vous êtes un grand défenseur de la mémoire de Robespierre ?
Jack Ralite - Ça me rappelle une anecdote. Un jour on a demandé à Bertrand Delanoë de nommer une rue Robespierre à Paris. Il a refusé en disant : « Tout n’est pas sage chez lui »… Et pourtant, Robespierre ! L’incorruptible ! C’est important, surtout aujourd’hui ! Bien sûr, on peut aussi parler de la Terreur, mais c’est une autre question. Et puis sur la Terreur, il ne faut pas tout amalgamer. Je vais vous citer une phrase de Babeuf. Il voyageait beaucoup et écrivait chaque jour des lettres à sa femme. Dans l’une d’elles, il raconte la première manifestation où il y avait des têtes au bout de piques. Cette manifestation, écrit-il, « lui a laissé un profond malaise ». Il poursuit : « Je me suis dit ah, enfin, ils ne pourront plus nous faire de mal ! Et en même temps je me suis dit aussitôt : mais fallait-il qu’ils nous fassent tant de mal que pour en venir à bout, nous soyons amenés à faire le même mal ? » Extraordinaire ! Jaurès s’en est souvenu. Dans un texte, il a écrit : « Prolétariat français, n’oublie jamais le conseil de Babeuf ! »
La Mèche – Nous avons beaucoup parlé médias, mais votre première passion reste la culture. Que vous inspire la politique culturelle du pouvoir actuel ?
Jack Ralite - Il faut se souvenir que pendant sa campagne, Sarkozy avait émis l’idée de supprimer le ministère de la Culture ! Ensuite, dans sa lettre de mission à Mme Albanel, il a évoqué une idée qui symbolise bien son approche : tester la possibilité de vendre certaines toiles appartenant aux musées. C’est catastrophique, aujourd’hui le ministère de la Culture est sinistré, en état de dépression, on le dépèce à travers la RGPP [Révision générale des politiques publiques, ndlr] despotique et aveugle que combattent heureusement les syndicats. On cherche à industrialiser la culture, et c’est logique puisque Sarkozy lui-même se définit comme un patron, un dirigeant d’industrie. On avait d’ailleurs vu les prémices de tout cela avec les travaux de la « Commission Jouyet-Lévy sur l’économie de l’immatériel ». On y parlait de « capital humain », ce qui m’avait fait penser à Staline qui évoquait « l’homme, le capital le plus précieux ». Pour une commission composée d’inspecteurs des Finances et de patrons d’entreprises privées, je trouvais qu’ils avaient des sources curieuses…
Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde, disait Camus. Les mots compétitivité, marketing, performance, évaluation, obligation de résultat, rentabilité, management, gouvernance manipulent et corrompent les rapports sociaux. Là encore ça m’évoque une phrase de Richard II : « Les mots dont il avait tant abusé ne véhiculent plus que l’impuissance des pensées qui meurent dans la fleur de leur orgueil. »
Pour résumer en une phrase : la politique de Sarkozy est faite pour chiffrer, la culture et l’information sont faites pour déchiffrer. Chiffrage et déchiffrage, ça ne marche pas ensemble. Ce qu’on observe sur la culture et dans d’autres domaines, c’est que la politique menée par ce gouvernement est une guerre. C’est ce qu’a très bien écrit Pierre Legendre : « La paix gestionnaire est une guerre. »
La Mèche – Pour finir, un dernier mot sur la Mèche, peut-être ?
Jack Ralite - Je suis pour la Mèche et pas pour la bombe atomique !